18 juillet 2017

Quand un permis d’aménager modificatif purge rétroactivement un permis de construire délivré à l’intérieur de son périmètre

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Dans une décision particulièrement intéressante d’un point de vue opérationnel, en date du 22 juin 2017, la cour administrative d’appel de Bordeaux juge qu’un permis de construire peut être régularisé par un permis d’aménager modificatif postérieur à sa délivrance. 

Dans cette affaire, les faits soumis à l’appréciation de la cour administrative d’appel étaient relativement classiques.

Sollicité par deux sociétés, un maire a pris trois arrêtés en vue de rénover une zone commerciale.

Le premier, en date du 8 octobre 2012, leur a accordé un permis d’aménager pour la création d’un lotissement de deux lots et l’aménagement de la voie privée existante après démolition de bâtiments existants sur un terrain.

Puis, par arrêté de permis de construire en date du 10 octobre 2013, les deux sociétés ont été autorisées à réaliser un ensemble commercial composé de deux bâtiments sur ce même terrain.

Enfin, un troisième arrêté, en date du 10 juillet 2014, leur a accordé un permis d’aménager modificatif.

Une riveraine et la Confédération pour les entrepreneurs et la préservation du pays du bassin d’Arcachon (CEPPBA) ont sollicité l’annulation de ces arrêtés auprès du tribunal administratif de Bordeaux, qui a rejeté leurs demandes par trois jugements rendus le 5 mars 2015.

Persistant dans leurs demandes d’annulations, les requérants ont saisi la cour administrative d’appel de Bordeaux.

Il était notamment reproché au permis d’aménager d’avoir omis de répartir entre les lots les surfaces constructibles maximales et, au permis de construire, d’être incomplet en ce qu’il ne comportait pas les certificats du lotisseur attestant la surface constructible maximale de chaque lot.

C’est à cette occasion que la cour administrative d’appel a eu l’occasion de juger que la délivrance d’un permis d’aménager modificatif permettait la régularisation rétroactive non seulement du permis d’aménager initial, mais également du permis de construire délivré antérieurement au sein du périmètre du permis d’aménager créant le lotissement.

Cette décision est également l’occasion de revenir sur les conditions de satisfaction de l’intérêt à agir contre une autorisation d’urbanisme.

I – Sur l’effet régularisateur d’un permis d’aménager modificatif sur un permis de construire

L’arrêt applique une jurisprudence désormais bien établie selon laquelle lorsqu’un permis a été délivré en méconnaissance de dispositions législatives ou réglementaires relatives à l’utilisation du sol ou sans que soient respectées des formes ou formalités préalables à la délivrance des permis de construire, l’illégalité qui en résulte peut être régularisée par la délivrance d’un permis modificatif, et que les vices ainsi régularisés ne peuvent plus être utilement invoqués à l’appui d’un recours pour excès de pouvoir dirigé contre le permis initial.

Si cette jurisprudence trouve son application privilégiée en matière de permis de construire (CE, 30 mars 2015, n° 369431 ; CE, 28 septembre 2012, n° 340285 ; CE, 2 février 2004, n° 238315), elle est plus rarement appliquée aux permis d’aménager.

Cette décision en est une illustration : s’il était reproché au permis d’aménager de ne pas comporter de précision quand à la répartition de la surface constructible maximale entre les lots, le vice éventuel qui pouvait en être tiré pouvait aisément être régularisé par la délivrance d’un permis d’aménager modificatif.

Dès lors que tel a bien été le cas du fait de l’intervention de l’arrêté du 10 juillet 2014, le moyen tiré de la violation par le permis d’aménager initial de l’article R. 442-3 du Code de l’urbanisme n’a donc pas été accueilli puisque le permis d’aménager modificatif assurait le respect de ces règles.

Mais surtout, et il s’agit du point particulièrement novateur de la décision, le juge a considéré que la régularisation du permis d’aménager initial par le permis d’aménager modificatif bénéficiait également au permis de construire.

En effet, et ainsi que le rappelle l’arrêt, « un permis de construire ne peut être légalement délivré pour une construction à édifier sur un terrain compris dans un lotissement non autorisé ou autorisé dans des conditions irrégulières« . Les requérants soulevaient ainsi le moyen selon lequel l’irrégularité du permis d’aménager rejaillissait sur la légalité du permis de construire par voie de conséquence de l’illégalité du permis d’aménager pour défaut de répartition de la surface de plancher maximale.

Or, la cour, dans une argumentation pragmatique, rappelle l’effet « régularisateur » du permis d’aménager modificatif en date du 10 juillet 2014 en indiquant « que le moyen tiré de la violation par le permis d’aménager initial de l’article R. 442-3 du Code de l’urbanisme n’a pas été accueilli dès lors que le permis d’aménager modificatif assure le respect de ces règles« .

Puis, tirant les conséquences de cette régularisation : « en l’absence de toute irrégularité entachant le lotissement, le permis de construire ne saurait faire l’objet d’une annulation par voie de conséquence. La circonstance que le permis de construire est antérieur au permis d’aménager modificatif, délivré en vue de régulariser l’autorisation de lotissement, n’est pas de nature à affecter le bien-fondé du jugement, qui a tenu compte à juste titre de l’existence d’une régularisation à la date à laquelle le tribunal se prononçait« .

De la même manière, les requérants soulevaient l’illégalité du permis de construire pour incomplétude.

Ils soutenaient que le dossier de demande de permis de construire était incomplet en l’absence des certificats fournis aux attributaires de lots indiquant la surface de plancher constructible sur le lot, en méconnaissance des articles R. 431-22 et R. 442-11 du Code de l’urbanisme.

Rappelons que l’article R. 442-3 du code de l’urbanisme prévoit que « la demande précise, outre les informations mentionnées à l’article R. 441-1 ,le nombre maximum de lots et la surface de plancher maximale dont la construction est envisagée dans l’ensemble du lotissement« .

Pour sa part, l’article R. 442-11 du même code précise que « lorsque la répartition de la surface de plancher maximale est effectuée par le lotisseur, celui-ci fournit aux attributaires de lots un certificat indiquant la surface de plancher constructible sur le lot […] Ces certificats sont joints à la demande de permis de construire« .

La cour a toutefois rejeté le moyen en les termes suivants : « toutefois, la surface de plancher maximale a été répartie, à raison de 33 468 m² sur le lot n° 1 et 238 261 m² sur le lot n° 2 par le permis d’aménager modificatif du 10 juillet 2014. Dans ces conditions, à supposer que le dossier de permis de construire ait été incomplet lors de son dépôt, l’absence de certificat du lotisseur, devenu inutile, a été régularisée et le moyen ne peut plus utilement être invoqué« .

Ce faisant, la cour ne se prononce pas sur l’éventuelle méconnaissance des articles R. 442-3 et R. 442-11 du Code de l’urbanisme précité, pour incomplétude, mais considère que, dès lors que les informations figuraient désormais au sein du permis d’aménager modificatif, cette éventuelle incomplétude était inopérante.

En effet, elle juge que le certificat du lotisseur, requis en principe au sein du dossier de demande de permis de construire par l’article R. 442-10 du Code de l’urbanisme, était « devenu inutile« , puisque, désormais, le permis d’aménager, régularisé par le permis d’aménager modificatif, comportait bien les informations permettant de s’affranchir de cette obligation au sein du dossier de demande de permis de construire.

Le juge administratif tire ainsi les conséquences de la régularisation du permis d’aménager sur la légalité du permis de construire délivré au sein du lotissement.

A cet égard, il semble que la cour administrative d’appel ait fait, implicitement, application d’une jurisprudence bien établie aux termes de laquelle le caractère incomplet d’un dossier de demande de permis (de construire ou d’aménager) ne saurait entacher d’illégalité la décision prise dès lors que les services instructeurs ont pu, au regard de l’intégralité des informations transmises, apprécier l’ensemble des critères énumérés par le Code de l’urbanisme (CAA Lyon, 3 décembre 2013, n° 13LY00471 ; CAA Nantes, 28 février 2014, n° 12NT01715).

Cela pourrait signifier une possible appréciation de la légalité d’un permis d’aménager et d’un permis de construire participant à la même opération, de manière globale.

Cette interprétation doit toutefois être prise avec prudence, l’arrêt étant rendu par une cour administrative d’appel, et sans prendre la forme d’un considérant de principe.

Pour autant, il est possible de déceler une volonté d’apprécier globalement des autorisations participant à un même projet, et satisfaisant, ensemble, aux exigences réglementaires requises.

Une telle position serait cohérente avec les différentes réformes récentes à l’occasion desquelles le législateur a institué des procédures de régularisation des autorisations d’urbanisme, ainsi que de la jurisprudence tendant, dans un souci de pragmatisme croissant, à ne plus annuler des autorisations, notamment pour des motifs de forme, lorsqu’une régularisation est possible.

Il conviendra d’attendre une confirmation du Conseil d’Etat pour pérenniser une éventuelle jurisprudence en ce sens.

II – Sur l’examen de l’intérêt à agir contre un permis de construire : l’intérêt du riverain prime sur l’intérêt du concurrent commercial

La décision commentée est également l’occasion, pour le juge administratif, de revenir sur un aspect récurrent du contentieux des autorisations d’urbanisme : l’intérêt à agir contre un permis de construire ou d’aménager, sous le prisme des litiges commerciaux.

En effet, le projet critiqué consistait en l’édification d’un ensemble commercial.

Madame A., requérante, se trouvait être salariée d’une enseigne concurrente, dont le propriétaire n’était autre que son concubin.

Dans ce contexte, le défaut d’intérêt à agir était soulevé par les bénéficiaires des permis d’aménager et de construire.

De manière très didactique, la cour administrative d’appel a rejeté cette fin de non-recevoir.

S’agissant de la nouvelle définition de l’intérêt à agir, résultant des dispositions de l’article L. 600-1-2 du Code de l’urbanisme, elle a rappelé les termes de l’avis du Conseil d’Etat en date du 18 juin 2014, selon lequel « s’agissant de dispositions nouvelles qui affectent la substance du droit de former un recours pour excès de pouvoir contre une décision administrative, elles sont, en l’absence de dispositions contraires expresses, applicables aux recours formés contre les décisions intervenues après leur entrée en vigueur » (CE 18 juin 2014, n° 376113 ; pour une application plus récente, voir CE, 8 juillet 2015, n° 385043).

En conséquence, le juge devait appliquer les critères jurisprudentiels précédant l’entrée en vigueur de l’article L. 600-1-2 du Code de l’urbanisme, c’est-à-dire la distance entre le projet autorisé et le lieu d’établissement de l’auteur de la requête, la visibilité de ce projet depuis ces lieux, la nature et l’importance du projet et enfin la configuration des lieux dans lesquels il s’inscrit (CE, 27 octobre 2006, n° 286569).

Après avoir constaté que Madame A. est locataire d’une maison d’habitation située à moins de 200 mètres du projet et qu’elle disposera d’une vue sur celui-ci depuis sa maison, le juge a logiquement estimé qu’au regard de l’importance de l’opération projetée, « celle-ci apparaît comme étant susceptible d’affecter substantiellement les conditions d’occupation de ce logement, eu égard à sa proximité et sa visibilité« .

La cour a, en revanche, expressément rejeté les fins de non recevoir soulevées : « si la requérante est également la salariée de la société [X], enseigne concurrente à celle en projet dans la commune d’Arès, propriété de M. I., membre et président de la CEPPBA, et vit également avec ce dernier, l’intérêt dont se prévaut la requérante pour contester les décisions attaquées n’est pas de nature commerciale mais tient aux difficultés de jouissance de son bien compte tenu de la proximité du projet. Il s’ensuit que Mme A. justifie d’un intérêt pour agir contre les décisions en litige, y compris le permis de construire postérieur à l’entrée en vigueur de l’article L. 600-1-2« .

En jugeant de la sorte, la cour fait primer l’intérêt à agir au titre de la qualité de riverain sur celle de la qualité de commerçant concurrent.

Il est en effet de jurisprudence constante et ancienne que la qualité de commerçant ou d’exploitant concurrent ne donne pas d’intérêt à agir contre une autorisation d’urbanisme (CE, 3 juillet 1987, n° 39287), sauf à ce que celui-ci démontre en quoi les caractéristiques particulières du projet critiqué seraient de nature à affecter ses conditions d’exploitation (CE, 22 février 2002, n° 216088). A défaut, le riverain voisin ne peut faire valoir son intérêt à agir que sur le fondement de considérations urbanistiques.

En l’espèce, le juge administratif vient rappeler que, dès lors que de l’intérêt à agir en qualité de voisin riverain du projet est démontré sur le fondement des critères habituels, qu’il s’agisse des critères jurisprudentiels antérieurs à l’entrée en vigueur de l’article L. 600-1-2 du Code de l’urbanisme, ou sur le fondement de ce dernier article, la requête est recevable.

Ainsi, la circonstance qu’il existe un intérêt concurrentiel ne permettant pas de critiquer les autorisations d’urbanisme importe peu et ne fait pas « perdre » l’intérêt à agir par ailleurs régulièrement démontré.