A constructions distinctes, permis distincts
CE 28 décembre 2017 Société d'études et de réalisations immobilières et foncières 3B et autres c/ Commune de Strasbourg, req. n° 406782 et n° 411764
Par une décision du 28 décembre 2017, le Conseil d’Etat est venu approfondir sa jurisprudence dite « Commune de Grenoble » (CE 17 juillet 2009 Commune de Grenoble et Communauté d’agglomération Grenoble Alpes métropole, req. n° 301615).
Pour rappel, cet arrêt avait posé le principe selon lequel « une construction constituée de plusieurs éléments formant, en raison des liens physiques ou fonctionnels entre eux, un ensemble immobilier unique, doit en principe faire l’objet d’un seul permis de construire ».
Le Conseil d’Etat avait cependant réservé une exception notable, à savoir que « lorsque l’ampleur et la complexité du projet le justifient, notamment en cas d’intervention de plusieurs maîtres d’ouvrage, les éléments de la construction ayant une vocation fonctionnelle autonome puissent faire l’objet de permis distincts, sous réserve que l’autorité administrative ait vérifié, par une appréciation globale, que le respect des règles et la protection des intérêts généraux que garantirait un permis unique sont assurés par l’ensemble des permis délivrés ».
La présente affaire est l’occasion pour le Conseil d’Etat, après plusieurs décisions venues illustrer ce principe, de parachever les hypothèses en présence.
La société d’études et de réalisations immobilières et foncières 3B (SAS 3B) a acquis une unité foncière composée d’un immeuble de bureaux, de locaux à usage de bureaux installés dans des anciennes écuries et et des locaux à usage de garages, à Strasbourg.
Elle a obtenu une décision de non opposition à déclaration préalable en vue de la réhabilitation de l’immeuble de bureaux. Une société liée, la société foncière 3B, a pour sa part obtenu un permis de construire autorisant l’édification d’un immeuble collectif de 18 logements, après démolition.
Ces autorisations ont été contestées devant le tribunal administratif, qui les a annulé au motif que l’ensemble aurait dû être soumis à une autorisation unique.
Saisi d’un pourvoi sur le permis de construire, le Conseil d’Etat a complété le principe jurisprudentiel dégagé le 17 juillet 2009 :
« 4. Considérant qu’il résulte de ces dispositions que la construction d’un ensemble immobilier unique, même composé de plusieurs éléments, doit en principe faire l’objet d’une seule autorisation de construire, sauf à ce que l’ampleur et la complexité du projet justifient que des éléments de la construction ayant une vocation fonctionnelle autonome puissent faire l’objet de permis distincts, sous réserve que l’autorité administrative soit en mesure de vérifier, par une appréciation globale, que le respect des règles et la protection des intérêts généraux que garantirait un permis unique sont assurés par l’ensemble des permis délivrés ; qu’en revanche, des constructions distinctes, ne comportant pas de liens physiques ou fonctionnels entre elles, n’ont pas à faire l’objet d’un permis unique, mais peuvent faire l’objet d’autorisations distinctes, dont la conformité aux règles d’urbanisme est appréciée par l’autorité administrative pour chaque projet pris indépendamment ».
Ainsi, après avoir traité le cas des projets constituant un ensemble immobilier unique, le Conseil d’Etat poursuit son œuvre jurisprudentielle en consacrant le principe, jusque là implicite, selon lequel des constructions distinctes, ne présentant pas de liens physiques ou fonctionnels entre elles, peuvent faire l’objet de plusieurs permis, dont la conformité aux règles d’urbanisme est appréciée par l’autorité administrative pour chaque projet pris indépendamment.
En l’espèce, le Conseil d’Etat a relevé que la SAS 3B, après avoir procédé à la division du terrain, a dissocié son projet en deux opérations distinctes : l’opération de réhabilitation de l’immeuble de bureaux existant, et l’opération de construction d’un nouveau bâtiment, physiquement distinct de l’immeuble existant et destiné à accueillir des logements sociaux, portée par une autre société.
A cet égard, il convient de noter que les opérations font intervenir deux maîtres d’ouvrages différents, et qu’ils n’ont en commun que l’institution d’une servitude de cour commune.
La Haute Juridiction en a donc déduit que les deux opérations sont distinctes l’une de l’autre tant physiquement que d’un point de vue fonctionnel, de sorte que la conformité de chacun de ces deux projets distincts aux règles d’urbanisme devait être appréciée par l’autorité administrative pour chaque projet pris indépendamment.
Cette nouvelle décision est l’occasion de faire le point sur les différentes hypothèses dégagées par la Haute Juridiction :
- En principe, des constructions distinctes, ne comportant pas de liens physiques ou fonctionnels entre elles, n’ont pas à faire l’objet d’un permis unique, mais peuvent faire l’objet d’autorisations distinctes qui seront chacune soumises à un examen distinct de conformité aux règles d’urbanisme (CE 28 décembre 2017 Société d’études et de réalisations immobilières et foncières 3B et autres c/ Commune de Strasbourg, req. n° 406782 et 411764).
- En revanche, des constructions peuvent faire l’objet d’un unique permis alors même qu’elles ne forment pas un ensemble immobilier unique (CE 28 juillet 1999 Société anonyme d’HLM « Le nouveau logis Centre Limousin », req. n° 182167, Rec. p. 272), emportant alors le caractère divisible de l’autorisation (CE 1er octobre 2015 Commune de Toulouse, req. n° 374338, Rec. p. 307).
- Pour sa part, un ensemble immobilier unique, caractérisé par plusieurs éléments ayant des liens physiques ou fonctionnels entre eux, devra faire l’objet d’un permis unique (CE 17 juillet 2009 Commune de Grenoble et Communauté d’agglomération Grenoble Alpes métropole, req. n° 301615, Rec. p. 270).
- Mais, lorsque l’ampleur et la complexité du projet d’ensemble immobilier unique le justifient, des éléments de la construction ayant une vocation fonctionnelle autonome peuvent faire l’objet de permis distincts, sous réserve que l’autorité administrative ait vérifié, par une appréciation globale, que le respect des règles et la protection des intérêts généraux que garantirait un permis unique sont assurés par l’ensemble des permis délivrés (CE 17 juillet 2009 Commune de Grenoble et Communauté d’agglomération Grenoble Alpes métropole, préc. ; CE 19 juin 2015 Société « Grands magasins de la Samaritaine – Maison Ernest Cognacq » et Ville de Paris, req. n° 387061 et 387768).
Il convient de rappeler que, par liens physiques, il faut entendre unicité de construction, c’est-à-dire une unité structurelle, tandis que, s’agissant des liens fonctionnels, le Conseil d’Etat a précisé récemment qu’il ne s’agissait pas d’un lien de nature technique ou économique mais de nature juridique, qui aboutit à ce que les constructions sont nécessaires l’une à l’autre pour le respect des règles d’urbanisme (CE 12 octobre 2016 Société WPD Energie 21 Limousin et ministre du logement, de l’égalité des territoires et de la ruralité c/ Association Saint-Priest Environnement et autres, req. n° 391092 et 391155, T. p. 992).
Il ressort des ces hypothèses que, dans certains cas, les opérateurs pourront choisir de recourir à une seule autorisation ou à plusieurs, sous réserve que le projet, apprécié globalement, ne satisfasse pas à la définition de l’ensemble immobilier unique. Le choix sera fonction de divers éléments opérationnels stratégiques.
Dans le cas d’un ensemble immobilier unique, les opérateurs devront recourir à un permis unique, sauf à ce que les conditions strictes dégagées par le Conseil d’Etat dans son arrêt Ville de Grenoble soient réunies. Alors, dans ce dernier cas, ils pourront recourir à des permis distincts, en prenant soin de respecter les conditions d’une appréciation globale du projet au regard des règles d’urbanisme par le service instructeur.
Pour conclure, cette précision de bon sens du Conseil d’Etat est la bienvenue et rappelle que les opérateurs doivent être vigilants lors du choix entre une ou plusieurs autorisations d’urbanisme pour la mise en œuvre de leur projet, ainsi qu’à la composition des dossiers dans le cas de plusieurs autorisations portant sur un même ensemble immobilier.
Il est également particulièrement nécessaire de s’assurer que ce choix demeure pertinent lorsque le projet évolue au cours de la pré-instruction, voire pendant l’instruction.
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