30 mars 2017

Le Conseil d’Etat enrichit sa jurisprudence en matière de recevabilité contre les autorisations d’urbanisme

Ref. : CE, 1ère et 6ème chambres réunies, n°396362

 

Par un arrêt rendu le 17 mars 2017, le Conseil d’Etat considère que la décision d’un maire refusant de constater la caducité d’un permis de construire n’entre pas dans le champ d’application de l’article R.600-1 du code de l’urbanisme et que l’intérêt à agir contre un permis de construire modificatif, lorsque le requérant n’a pas attaqué le permis initial, s’apprécie « au regard de la portée des modifications apportées par le permis modificatif au projet de construction initialement autorisé ».

Dans cette affaire, le maire de la commune de La Cadière-d’Azur (Var) a délivré, le 2 avril 2008, un permis de construire une habitation individuelle. Selon toute vraisemblance, les travaux n’ont pas été engagés immédiatement. Un permis de construire modificatif a ensuite été délivré le 21 avril 2015.

Les voisins du projet, qui n’avaient pas contesté le permis de construire initial, ont formé auprès du maire (i) un recours gracieux contre le permis de construire modificatif et (ii) une demande de constat de caducité du permis de construire initial.

Ces deux demandes ayant été rejetées, les requérants ont saisi le tribunal administratif de deux requêtes en annulation.

Le tribunal administratif de Toulon a cependant rejeté ces demandes au motif que le recours contentieux exercé contre la décision implicite refusant de constater la caducité du permis de construire n’avait pas fait l’objet d’une notification au titre de l’article R. 600-1 du code de l’urbanisme et que les requérants « ne justifiaient pas d’un intérêt à agir contre le permis de construire modificatif attaqué ».

Saisi directement en application des dispositions de l’article R. 811-1-1 du code de justice administrative, donnant compétence en premier et dernier ressort aux tribunaux administratifs pour juger des recours dirigés contre les autorisations d’urbanisme relatives à des bâtiments à usage principal d’habitation ou à des lotissements, située en « zones tendues » (art. 232 du code général des impôts), le Conseil d’Etat a annulé les décisions du tribunal aux motifs :

 

  • Que « la décision par laquelle le maire refuse de constater la caducité d’un permis de construire n’est pas au nombre des décisions limitativement énumérées par cet article »;
  • Que « Lorsque le requérant, sans avoir contesté le permis initial, forme un recours contre un permis de construire modificatif, son intérêt pour agir doit être apprécié au regard de la portée des modifications apportées par le permis modificatif au projet de construction initialement autorisé »

Cette décision, destinée à être fichée au recueil Lebon sur ces deux points, mérite que l’on s’y attarde.

 

  1. La décision de refus de constat de caducité d’un permis de construire n’entre pas dans le champ d’application de l’article R.600-1 du code de l’urbanisme

Cet arrêt est l’occasion pour la Haute Juridiction de rappeler les limites de l’article R. 600-1 du code de l’urbanisme.

Pour mémoire, aux termes du premier alinéa de cet article, « en cas de déféré du préfet ou de recours contentieux à l’encontre d’un certificat d’urbanisme, d’une décision de non-opposition à une déclaration préalable ou d’un permis de construire, d’aménager ou de démolir, le préfet ou l’auteur du recours est tenu, à peine d’irrecevabilité, de notifier son recours à l’auteur de la décision et au titulaire de l’autorisation (…) ».

 

Le Conseil d’Etat juge :

« La décision par laquelle le maire refuse de constater la caducité d’un permis de construire n’est pas au nombre des décisions limitativement énumérées par cet article. Par suite, en jugeant que le recours contentieux exercé par M. et Mme D…contre la décision du maire de La Cadière-d’Azur refusant de constater la caducité du permis de construire initial du 2 avril 2008 entrait dans le champ d’application de l’article R. 600-1 du code de l’urbanisme, la présidente de la 1ère chambre du tribunal administratif de Toulon a commis une erreur de droit ».

Il fait ici une stricte application de la lettre de l’article R. 600-1 du code de l’urbanisme, qui énumère de manière claire et limitative les actes individuels soumis à cette obligation. La décision d’un maire refusant de constater la caducité d’un permis de construire ne faisant pas partie de cette liste, elle n’a donc pas besoin de faire l’objet d’une notification lorsqu’un recours contentieux est exercé par des requérants.

Cette décision fait suite à celle du 9 octobre 2015 (CE 9 octobre 2015 Commune de Lauzet-sur-Ubaye, req. n° 384804: Lebon T), par laquelle le Conseil d’Etat avait déjà précisé que les recours contre les Unités Touristiques Nouvelles n’étaient pas au nombre des décisions visées par l’article R. 600-1 du code de l’urbanisme, de sorte qu’ils n’avaient pas à faire l’objet d’une notification au titre de cet article.

Ainsi, malgré la réécriture de l’article R. 600-1, issue de l’article 12 du décret n° 2007-18 du 5 janvier 2007, qui a substitué à l’expression « décision relative à l’occupation ou l’utilisation du sol régie par le présent code » la liste plus précise précitée, il demeure nécessaire pour le juge administratif de continuer à préciser les contours de l’obligation de notification.

Le Conseil d’Etat renvoie l’affaire au tribunal administratif de Toulon, de sorte qu’il appartiendra désormais au juge du fond d’examiner si le permis de construire initial était caduc au non, le délai de sept années entre la délivrance du permis de construire initial et celle du permis de construire modificatif étant à cet égard pour le moins troublant.

 

  1. L’intérêt à agir contre un permis de construire modificatif s’apprécie au regard de la portée des modifications apportées lorsque le permis initial n’a pas été contesté

L’arrêt commenté poursuit également l’œuvre jurisprudentielle entreprise par le Conseil d’Etat suite à l’introduction du nouvel article L.600-1-2 au Code de l’urbanisme.

En effet si l’ordonnance du 18 juillet 2013 a défini l’intérêt à agir afin de mettre fin aux pratiques abusives nées d’une appréciation jurisprudentielle large de cet intérêt (CE Avis 18 juin 2014, req. n°376113 Lebon), la Haute juridiction s’attache depuis plusieurs années à en préciser les contours.

Aux termes de cette nouvelle disposition, « une personne autre que l’Etat, les collectivités territoriales ou leurs groupements ou une association n’est recevable à former un recours pour excès de pouvoir contre un permis de construire, de démolir ou d’aménager que si la construction, l’aménagement ou les travaux sont de nature à affecter directement les conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance du bien qu’elle détient ou occupe régulièrement ou pour lequel elle bénéficie d’une promesse de vente, de bail, ou d’un contrat préliminaire mentionné à l’article L.261-15 du code de la construction et de l’habitation » (art. L. 600-1-2 c. urb.).

Cette consécration législative a été prise en compte et enrichie par le Conseil d’Etat d’abord par un arrêt du 10 juin 2015 (CE 10 juin 2015, req. n°386121), confirmant la fin de la jurisprudence traditionnelle qui considérait que la seule visibilité et/ou proximité du projet contesté constituait, en tant que tel, un élément suffisant pour justifier d’une atteinte aux conditions d’occupation d’utilisation ou de jouissance des biens et donc pour garantir la recevabilité du requérant (CE 5 avril 2006, req. n° 283137 et CE 27 octobre 2006, n° 286569).

Désormais il appartient au requérant d’invoquer des éléments précis et étayés pour établir que l’atteinte invoquée est susceptible d’affecter les conditions d’utilité, de jouissance et d’occupation de ce bien.

Le juge pourra dès lors rejeter la requête si le requérant ne fait pas « apparaître clairement en quoi les conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance de son bien sont susceptibles d’être directement affectées par le projet litigieux » (CE 10 février 2016, req. n°387507).

Cette réforme, qui limite considérablement les actions des tiers contre un permis de construire, entend toutefois conserver une position souple vis-à-vis du voisin dit « immédiat », lequel « eu égard à sa situation particulière (…) justifie, en principe, d’un intérêt à agir lorsqu’il fait état devant le juge, qui statue au vu de l’ensemble des pièces du dossier, d’éléments relatifs à la nature, à l’importance ou à la localisation du projet de construction » (CE 13 avril 2016, req. n° 389798).

Cette qualité de voisin immédiat est appréciée de façon large par le Conseil d’Etat qui a considéré que l’immédiateté ne se limitait pas aux voisins contigus (CE 13 avril 2016, req. n°389802).

Dans l’arrêt du 17 mars 2017, le Conseil d’Etat s’attache désormais au cas particulier des modalités d’appréciation de l’intérêt à agir contre un permis de construire modificatif, alors même que les requérants n’auraient pas contesté le permis initial.

Le Conseil d’Etat considère que « lorsque le requérant, sans avoir contesté le permis initial, forme un recours contre un permis de construire modificatif, son intérêt pour agir doit être apprécié au regard de la portée des modifications apportées par le permis modificatif au projet de construction initialement autorisé ».

Ainsi, l’absence de recours contre le permis de construire initial ne fait pas obstacle à ce que les requérants aient un intérêt à agir contre le permis de construire modificatif.

Au cas d’espèce, la Haute Juridiction sanctionne l’analyse du tribunal administratif de Toulon aux motifs suivants :

« En jugeant, pour rejeter leur demande comme manifestement irrecevable, que M. et Mme D…ne justifiaient pas d’un intérêt à agir contre le permis de construire modificatif attaqué, alors qu’ils avaient établi être propriétaires d’une maison à usage d’habitation située à proximité immédiate de la parcelle d’assiette du projet et avaient produit la décision attaquée, de laquelle il ressortait que le permis litigieux apportait des modifications notables au projet initial, affectant son implantation, ses dimensions et l’apparence de la construction, ainsi que divers clichés photographiques, pris depuis leur propriété, attestant d’une vue directe sur la construction projetée, la présidente de la 1ère chambre du tribunal administratif de Toulon a inexactement qualifié les faits de l’espèce ».

Le Conseil d’Etat considère donc implicitement que dès lors que les modifications issues du permis de construire modificatif sont « notables », en ce qu’elles affectent tout à la fois son implantation, ses dimensions et son apparence, alors les requérants disposent d’un intérêt à agir propre contre le seul permis de construire modificatif, puisque celui-ci est affectent directement leurs conditions d’occupation, d’utilisation et de jouissance de leur bien.

Cette position n’est pas surprenante, le juge administratif refusant de rouvrir les délais de recours contre un permis initial à l’occasion d’un permis de construire modificatif.

Elle est, en outre, tout à fait comme conforme à l’objectif poursuivi par l’ordonnance du 18 juillet 2013 tendant à mettre fin à la multiplication des recours abusifs contre les permis de construire.

Il appartiendra donc à chaque requérant contestant un permis de construire modificatif mais n’ayant pas critiqué le permis initial de démontrer que les modifications apportées affectent ses conditions d’occupation, d’utilisation et de jouissance de son bien.

Notons que le tribunal administratif de Nice avait eu l’occasion de se prononcer en ce sens par un jugement du 8 décembre 2016 (TA Nice 8 décembre 2016 Société Groupe Partouche, req. n°1604671,) en jugeant qu’il « ne ressort cependant pas des pièces du dossier que ces modifications, appréciées indépendamment du projet initial, porteraient une atteinte supplémentaire, s’agissant de la perte de vue et de luminosité, du préjudice économique invoqué et des nuisances du chantier, à la situation de la société Groupe Partouche. Dès lors, cette société ne justifie d’aucun intérêt lui donnant qualité pour contester le permis de construire modificatif en litige ».

Pour conclure, ces modalités d’appréciation de l’intérêt à agir contre un permis de construire modificatif ne s’opposeront certainement pas à la possibilité, pour les requérants, de démontrer que, sous l’intitulé de modificatif, l’autorisation délivrée relève en réalité d’un nouveau permis de construire, se libérant ainsi des limites posées par l’arrêt commenté.

D’ailleurs, en l’espèce, l’arrêt faisant part de nombreuses modifications, touchant tant à l’implantation, qu’aux dimensions et à l’apparence de la construction, il est possible de s’interroger sur la qualification réelle de cette autorisation.

Il appartiendra au juge du fond de trancher cette question, si elle lui était posée.